JUNG Sun Hee — dance is the hidden language of the soul

► Tu es née la veille de Noël à Seoul. Tes parents t'aimaient certainement mais pas assez pour se battre pour leur couple car ils ont divorcé trois ans après ta naissance. Si le divorce aurait pu être fait en toute cordialité, l'animosité entre eux était beaucoup trop importante pour cela. Tu étais beaucoup trop petite pour te souvenir des détails mais tu te rappelles clairement les disputes qui te semblaient d'une extrême violence qui éclataient souvent entre tes parents et c'est pour cela que depuis, tu évites les disputes comme de la peste.

► Avec le recul, tu n'es pas mécontente d'avoir été élevée par ton père, quand ta mère a quitté le foyer et n'a pas obtenu ta garde. Premièrement car elle est décédée un an plus tard dans un accident de voiture, mais également car elle n'aurait jamais su t'élever comme ton père l'a fait. Il y a mis tout son amour et toute son attention. S'il n'a pas pu arrêter de travailler pour s'occuper de toi car il fallait bien que l'argent rentre, il passait le plus clair de son temps libre avec toi. Le reste du temps, il te confiait à votre voisine, une dame sans enfant et sans travail qui adorait par-dessus tout venir te chercher à l'école et te donner le goûter.

► Tu as tout de suite accroché à la danse. A trois ans, tu commençais les cours de classique et de modern jazz. A neuf ans, tu passais six heures par semaine à l'école de danse, entre classique, jazz, hip hop et contemporain. Et à douze ans, ton père sacrifiais l'équivalent de trois mois de salaire pour t'inscrire en formation danse-étude. Tu avais ça dans le sang, te disait-on, en plus d'avoir la carrure parfaite pour être danseuse professionnelle. Dès tes quinze ans, tu travailles déjà professionnellement au sein de jeunes compagnies.

► Malgré une carrière professionnelle qui te prend énormément de temps, ton père insiste pour que tu continues assidument tes études car, comme il le dit, tu n'es pas à l'abri d'une blessure qui t'empêchera de danser. Il accepte donc très rarement les tournées hors vacances scolaires. A l'école, tu te sens malgré tout souvent exclue et très seule. Il n'y a que ce garçon qui a intégré votre classe d'une année sur l'autre qui est spontanément venu s'assoir à côté de toi. Lui, il ne rechignait jamais à te parler. Lui, malgré tes quatorze ans, tu l'as aimé au premier regard.

► Lui, tu l'aimais malgré ses vices. L'alcool, très jeune, la drogue, trop vite. Ton père le haïssait au plus haut point mais tu te rebellais. C'était l'homme de ta vie, tu disais. Avais-tu tort ? Peut-être pas. Encore aujourd'hui, tu t'en veux de ne pas avoir été là plus souvent pendant les vacances scolaires, pour le surveiller, l'empêcher de plonger. Non, toi, tu étais bien plus préoccupée par ta carrière. New York, Paris, Genève, Milan, Shanghai, Hong Kong, tu dansais dans le monde entier. Certes, tu lui rapportais pleins de souvenirs, parfois même tu l'emmenais avec toi dans tes voyages mais tu te mentais à toi-même. Tu n'aurais pas pu l'empêcher.

► Point 2.

► A vingt-trois ans, tu pars en tournée mondiale sans savoir qu'un petit bout de chou grandit dans ton ventre, fruit d'un amour bref entre ton partenaire de danse qui a entre temps quitté la compagnie. Durant cette tournée, tu découvres le music hall et le cabaret que tu vas apprendre et pratiquer jusqu'à ne plus pouvoir danser. Neuf mois plus tard, le petit bout entre tes bras, tu te dis que ton père avait raison, qu'un jour, tu devrais arrêter de danser. Et c'est pour ton fils que tu le ferais.

► Quelques mois plus tard, ta forme olympique retrouvée, tu décroches un poste de professeur de jazz à la Seoul Tanz Station, une des écoles les plus prestigieuses de la capitale coréenne. Au fil des années, alors que ton fils, Il Nam, grandit, tu te fais une place à l'école de danse. En 2017, à vingt-huit ans, tu enseignes le modern jazz, tu as introduit le contemporain et tu détiens également le poste de directrie artistique de l'école, poste te faisant passer des heures au travail sans même enseigner.